En Haïti, les éleveurs contribuent au développement d’une filière lait locale

Publié le 6 décembre 2021 (modifié le 20 février 2023 à 22h22)
Par Mélanie Appadoo
Temps de lecture : 4 mins
Entre une situation politique instable, une crise économique persistante, une insécurité alimentaire grandissante et un dérèglement climatique qui s’accélère, la population haïtienne peine à subvenir à ses besoins fondamentaux. C’est le cas des éleveurs de Lascahobas qui sont menacés par la concurrence du lait en poudre importé faute d’infrastructures et de connaissances. Thibault Queguiner, chargé de mission au sein d'Elevages sans frontières, nous explique comment l’association agit pour inverser la tendance et améliorer les conditions de vie des éleveurs.

Haïti plongé dans une crise sans fin

Avec plus de la moitié de la population vivant au-dessous du seuil de pauvreté (moins de 2 dollars par jour), Haïti est considéré comme l’un des pays les plus pauvres au monde, selon la Banque mondiale. Depuis le début de la pandémie de Covid-19 et plus récemment l’assassinat de son Président Jovenel Moïse en juillet 2021, le pays connaît d’importantes instabilités politiques et économiques avec un ralentissement de son développement qui le plongent dans une "pauvreté ambiante"

Dans un climat incertain, les Haïtiens subissent de plein fouet les conséquences dramatiques d’une crise qui ne s’amoindrit pas et des risques naturels qui s’intensifient. En effet, 60 % de la population vivant en zone rurale observent un appauvrissement de leurs sols et une baisse de leurs rendements agricoles. Une situation qui ne leur permet pas de vivre décemment de leur travail et encore moins de satisfaire les besoins alimentaires de l’ensemble du pays. Pour Thibault Queguiner, chargé de mission au sein de l’association Elevages sans frontières qui aide des familles paysannes à gagner en autonomie grâce à l’élevage, « l’élevage traditionnel est peu productif, et les éleveurs manquent d’encadrement et de connaissances ». « Les ONG jouent le rôle que devrait jouer l'État » ajoute-t-il.

La menace croissante des produits importés

À quatre-vingt-dix kilomètres de la capitale Port-au-Prince, précisément à Belladère, une commune du Centre Ouest d’Haïti qui compte de nombreuses familles paysannes, les éleveurs peinent à joindre les deux bouts. Comme l’explique Thibault, ils doivent faire face à la concurrence grandissante des produits de l’étranger. 90 000 tonnes de produits laitiers sont ainsi importées chaque année, au grand dam des éleveurs.

Aujourd’hui, la production agricole ne couvre plus que 40 % des besoins du pays, ce qui ne permet pas aux éleveurs de déjouer la concurrence existante et pousse les jeunes à fuir vers les centres urbains à la recherche d’un avenir meilleur. « Il faut que ça change, qu’il y ait une politique plus protectionniste en faveur des productions agricoles locales et notamment du lait et ça, ça peut se jouer en taxant davantage les importations », avance Thibault. De plus, bien que certains produits comme le lait en poudre présentent une mauvaise qualité nutritionnelle, les Haïtiens ont tendance à se tourner naturellement vers les produits importés considérés comme un gage de qualité, ce qui discrédite fortement les éleveurs locaux. « L’État doit sensibiliser davantage les consommateurs sur la façon dont ils consomment » souligne-t-il.

60 centimes d’euros par litre de lait vendu, "un gain significatif"

Afin de pérenniser la filière laitière locale à Lascahobas et encourager les jeunes à prendre la relève, Elevages sans frontières apporte aux éleveurs des appuis techniques en améliorant par exemple les conditions dans lesquelles ils élèvent leur bétail et en apportant des financements pour qu’ils puissent investir au sein de leur ferme. Aujourd’hui, pour un litre de lait vendu, un éleveur gagne 60 centimes d’euros. Avec seulement une vache, qui peut donner un gallon de lait par jour, un éleveur pourrait alors générer en moyenne 2 euros. « Ça peut paraître peu mais à l’échelle haïtienne, c’est un gain significatif », affirme Thibault. 

Pour commercialiser ce lait qui jusqu’à l’heure n’était produit que pour une consommation personnelle, Elevages sans frontières et ses partenaires accompagnent la population locale dans la commercialisation de leur lait à une laiterie du réseau Let’Agogo. Une fois collecté auprès des éleveurs, le lait est ensuite acheminé à la laiterie où il sera examiné à la loupe, testé et conservé avant d’être mis en vente. À travers des dispositifs de formation comme "l'École Paysanne", les éleveurs et éleveuses peuvent échanger sur divers sujets liés à leurs activités, partager leurs petits soucis, des conseils et leur expertise. « Ce n’est pas une approche de formation classique et verticale mais on cherche avant tout à construire le savoir-faire et la connaissance entre les éleveurs par de la rencontre et du partage » précise Thibault.

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Les salariés transforment le lait dans la micro-laiterie de Mireau dans la Ville de Belladère
©Elevages sans frontières

Un avenir prometteur pour la filière laitière locale

Depuis le démarrage de l’action, près de 260 éleveurs ont ainsi pu être accompagnés, dont 125 jeunes. Les produits laitiers se vendent, la filière laitière est mieux structurée et les éleveurs se partagent leurs connaissances, leurs compétences et même leur bétail ! En effet, chaque famille qui reçoit un animal en donne un en retour. C’est le principe du "Qui reçoit...donne". Les éleveurs s’engagent à faire don d’un animal issu de leur élevage à une famille de leur région pour qu’elle puisse à son tour subvenir à ses besoins. « C’est comme un microcrédit en nature » ajoute Thibault. « Avec seulement une génisse [ndlr. jeune vache] gestante, on peut sortir une famille de la pauvreté » confie Edèle Ledoux du Village Savane Grande. C’est pourquoi Elevages sans frontières permet à tout un chacun d’y contribuer en faisant un don. Avec 300 €, une famille peut recevoir une jeune vache gestante et vaccinée. 

Pour de nombreux éleveurs, Elevages sans frontières les accompagne vers la sécurité alimentaire. Cet accompagnement leur a non seulement permis de prendre confiance en eux mais surtout de voir grand : « Mon ambition c’est d’avoir d’autres espaces pour augmenter le nombre d’animaux » partage Wilner Saint-Vilus, du Village de Regardère.

 

[En partenariat avec Elevages sans frontières]

 

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