Au Cœur du Bois, un portrait profondément humain des prostitué.es du bois de Boulogne

Publié le 10 décembre 2021 (modifié le 20 février 2023 à 22h22)
Par Anne-Sophie de Monès
Temps de lecture : 4 mins
Claus Drexel a posé sa caméra au bois de Boulogne, au cœur de la prostitution, face à des hommes et des femmes qui se prostituent. Les protagonistes du film documentaire Au Cœur du Bois se livrent sur leurs parcours, les difficultés et les joies de ce travail, le problème de l’image de soi, les lois à leur encontre et à l’encontre de leurs clients. Filmé avec respect et élégance, ce documentaire est touchant, esthétique, parfois drôle et soulève de vraies questions.

Un documentaire cinématographique portant un regard bienveillant sur la prostitution  

Le travail de Claus Drexel est bien cinématographique : il accorde un soin à l’esthétisme. Les témoignages alternent avec de très jolies images du bois de Boulogne. Cette approche cinématographique se ressent dans la manière dont le réalisateur a filmé les hommes et les femmes. Claus justifie sa démarche : « Souvent, les personnes nous disaient qu’elles avaient déjà figuré dans des reportages télé ; il fallait leur faire comprendre que notre démarche était opposée, cinématographique, que nous prendrions le temps nécessaire, fut-il très long. » C'est ainsi qu' Au Coeur du Bois parvient à nous faire découvrir des personnes souvent très touchantes aux profils très différents

En effet, le documentaire Au Cœur du Bois montre bien que chaque personne a un rapport particulier à ce métier : certaines l’aiment et l’assument sans complexe, d’autres le font par nécessité et en ont honte… « Comment sont les ouvriers ou les médecins ? Ça dépend lesquels ! Pareil pour les prostituées du bois. » précise Claus Drexel. Les avis se complètent, s’accordent, se contredisent. « J’adore bosser au bois » confie Samantha. Un autre témoignage va valoriser son rôle social : « Quand je vois un client déprimé ressortir avec le sourire je me dis que j’ai fait quelque chose de bien. » Ils ou elles évoquent aussi leurs clients, les fidèles de 30 ans, les hommes en situation de handicap, les pervers, « ces mecs fous qui viennent calmer leurs ardeurs au bois ».

 

« Ce type de parcours brise le regard condescendant

qu’on pourrait avoir naturellement. »

 

Quant aux raisons qui ont poussé les protagonistes dans la prostitution, elles sont multiples. Certaines personnes évoquent l’attrait pour de l’argent facile. C’est le cas de Samantha qui raconte que lorsqu’elle a commencé à se prostituer, très jeune, elle gagnait 10 000 francs en travaillant deux après-midi par semaine, soit autant que son père en un mois de travail. Une femme confie avoir fait des études. Claus indique que « ce type de parcours brise le regard condescendant qu’on pourrait avoir naturellement. » « Même parmi les gens bien-pensants, il y a une sorte de mise sous tutelle selon laquelle on saurait mieux que les prostitué.es ce qui est bon pour elles ou eux. La plupart savent ce qu’ils ou elles font, ils ou elles l’ont décidé, et ça leur convient très bien. » explique-t-il.

D’autres en revanche, évoquent des raisons plus douloureuses telles que le viol, la drogue, le rejet par leur famille, la difficulté d’accepter leur sexe. Certains personnages s'interrogent sur leur avenir dont ils se soucient. Que deviendront-ils quand ils auront 60 ans ?

Des lois encadrant la prostitution souvent inutiles

La prostitution est le plus vieux métier du monde. Les lois pour la contrôler se succèdent sans vraiment s’attaquer au fond du problème, le proxénétisme. Parmi toutes les personnes que Claus a rencontrées au bois, toutes pensent que la loi de pénalisation du client est mauvaise. Pas une n’a défendu cette loi ! « C’est logique, elle pénalise leur activité en s’attaquant aux clients. Les gens qui ont imaginé cette loi soi-disant bien intentionnée n’ont jamais mis les pieds au bois et n’ont jamais discuté avec les personnes qui y travaillent. » explique Claus Drexel. En effet, la loi de pénalisation du client n'a aucun impact positif, si ce n'est de mettre les prostitué.es encore plus en danger :  « Et elle n’a eu aucune incidence sur les réseaux qui ont su s’organiser différemment en mettant les filles dans des situations encore plus précaires. Ce sont ces réseaux mafieux qui pratiquent une forme d’esclavagisme moderne qu’il faut oser affronter. » ajoute-t-il.

Inquiet.es, les prostitué.es témoignent dans le documentaire : « Depuis que c’est pénalisé les clients ne viennent plus , ils vont sur internet. Cela augmente la précarité des jeunes filles de réseaux qui subissent une forme d’esclavage dans des studios, enfermées, d’où elles ne peuvent sortir ». 

Le rôle crucial des associations auprès des prostituées

Quels que soient les profils des personnes prostituées, elles ont très souvent besoin d’accompagnement, qu’il soit temporaire ou à plus long terme. Claus a sélectionné plusieurs associations partenaires pour la réalisation de son film documentaire Au Cœur du Bois :

  • Aux captifs, la libération

Créée en 1981 par le Père Patrick Giros, prêtre du diocèse de Paris, Aux captifs, la libération est implantée à Paris, Lyon, Nîmes et Bordeaux et vient en aide aux personnes sans domicile fixe, en situation de prostitution de rue et aux migrants. 

  • Le Bus des Femmes 

Le Bus des femmes est une association créée en 1994 par des femmes prostituées de Paris, associées à différents professionnels de santé, dans le cadre de la lutte contre le sida. Depuis 27 ans, Le Bus des Femmes intervient afin de favoriser l’accès aux soins et à la santé globale des personnes prostituées par le biais de l’accès aux droits. 

  • La PASTT

La Prévention Action Santé Travail pour les Transgenres est une association de soutien et de lutte pour les droits des LGBT et des travailleuses du sexe. Elle assure des maraudes aux bois de Boulogne et de Vincennes, ainsi que dans d’autres lieux de prostitution. 

Briser les préjugés, faire bouger les lignes, c'est tout ce qu'espère Claus avec Au Cœur du Bois : « À la fin d’une projection de mes films, la réaction qui me touche le plus, c’est quand un spectateur dit qu’il ne regardera plus jamais les SDF ou les prostituées de la même façon. Voilà ce que j’ai envie de faire passer avec ce film : qu’on ne regarde plus ces personnes comme des prostituées, mais comme des êtres humains ».

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