Tatoueuse, elle veut aider les survivantes du cancer du sein à se reconstruire

Publié le 10 mai 2017 (modifié le 20 février 2023 à 22h15)
Par One Heart
Temps de lecture : 4 mins

Son projet est unique en Europe. Alexia Cassar, formée au tatouage 3D, technique qui a fait ses preuves aux Etats-Unis, veut ouvrir un salon entièrement dédié à la reconstruction mammaire. Interview.

Sa belle initiative est un espoir pour les 20.000 femmes qui subissent, chaque année en France, une mastectomie, autrement dit l’ablation du sein. Si des techniques médicales de reconstruction mammaire existent, celles-ci peuvent être soit douloureuses, soit insatisfaisantes. 

Alexia Cassar, 40 ans, ancienne chercheuse en oncologie, a décidé d'importer des Etats-Unis une technique prometteuse : le tatouage 3D. Maintenant qu'elle est formée, elle souhaite ouvrir, à côté de Paris, le premier cabinet de tatouage dédié à la reconstruction mammaire. Pour financer ce projet, soutenu par le milieu médical, dont le centre de lutte contre le cancer Gustave Roussy, elle a lancé un crowdfunding intitulé The Tétons Tattoo Project sur Kiss Kiss Bank Bank . Rencontre. 

One Heart : Vous étiez chercheuse en oncologie, quel a été le déclic pour vous lancer dans le tatouage ?

Alexia Cassar : Il y a plusieurs facteurs. Le premier : je suis moi-même tatouée et, à chaque fois que j'ai eu des épreuves dans ma vie, le tatouage m'a aidée à les digérer. Il avait sur moi un effet thérapeutique

Le deuxième est familiale.  Ma fille a souffert d'un cancer, plus précisément d'une leucémie aigue. J'en parle facilement car elle est aujourd'hui en rémission. 

Enfin, il y a eu la découverte du projet d'un tatoueur américain : Vinnie Myers. Depuis une dizaine d'années, il pratique cette technique de reconstruction par tatouage des mamelons. Je suis tombée sur une de ces vidéos qui m'a complètement saisie. Faire la même chose est devenue pour moi une obsession.

Comment avez-vous fait pour réaliser votre projet ?

J'ai profité de mon parcours en oncologie pour commencer à dresser le portrait de ce besoin. Existait-il ? Des personnes pratiquaient-elles déjà le tatouage 3D ? Les oncologues et chirurgiens m'ont dit que la reconstruction du sein chez la femme a toujours été problématique. Il en résultait souvent une insatisfaction esthétique et emotionnelle. Quant au tatouage 3D, personne ne l'avait encore développé en France. Les tatoueurs professionnels me l'ont confirmé. 

Je suis donc allé voir un tatoueur pour lui présenter mon projet et lui demander de m'apprendre à tatouer. Il accepté mais à une condition : que je sois disponible à plein temps. J'ai alors abandonné mon travail pour lancer ce projet. Je suis restée neuf mois en apprentissage, puis je suis partie aux Etats-Unis, où une tatoueuse canadienne m'a formée au tatouage 3D. Une telle formation est pour l'instant introuvable en Europe. 

Votre salon sera donc unique en Europe ?

En Europe et même dans le monde car, si des tatoueurs pratiquent déjà cette technique, leur salon n'est pas dédié uniquement à la reconstruction mammaire. 

Toutefois, le tatouage médical ou dermopigmentation est déjà pratiqué en France...

Oui, cette technique se rapproche du maquillage semi-permanent. On vient dessiner un rond sur la poitrine et le colorié avec une machine spécialisée. Malheureusement, ce tatouage, outre le fait qu'il ne soit pas très réaliste, ne dure que 6 ou 12 mois, deux ans dans le meilleur des cas. La patiente doit alors revenir à l'hôpital, lequel lui rappelle douloureusement qu'elle a été malade. 

Quelles sont les particularités du tatouage 3D ? 

Il apporte quelque chose de personnalisé. On est capable de reproduire au mieux le sein. On s'approche de sa texture, de sa couleur et, avec le trompe l'oeil, on arrive à redonner l'illusion du volume. On parvient aussi à rattrapper les catastrophes médicales.

Le dessin est définitif. On n'a pas de souffrance. On peut retourner travailler le jour même. Les petits soins post-tatouages sont très simples. En 7 jours, la peau est cicatrisée et l'aspect est définitif au bout de deux à trois mois. 

La séance se passe-t-elle comme un séance de tatouage classique ?

Non, car je prends énormément de temps. Il y a un très fort affect, que je construis volontairement avec la patiente. La séance commence par un travail d'acceptation de l'état dans lequel est la poitrine aujourd'hui. En effet, j'insiste bien : ce tatouage ne peut se faire qu'à la fin de la prise en charge chirurgicale. On ne doit pas réinjecter de volume, changer de prothèse dans les mois qui suivent. Sinon, on déplacerait le tatouage.

Pour la première fois, les patientes vont pouvoir décider, donner leur avis sur le dessin que je vais faire. On discute beaucoup. Je leur explique ce que je peux apporter mais aussi les limites de ma technique. Je vais m'approcher au plus près du sein qu'elle désire, mais ne leur rendrai pas celui qu'elles avaient avant l'ablation. Je n'ai pas de baguette magique. Cette phase prend entre trois et quatre heures selon les patientes, jusqu'à aboutir au moment exptionnel où, devant la glace, elles sont capables de dire que ce sein, elles l'aiment. 

Vous avez donc déjà testé la technique ? 

J'ai tatoué huit patientes depuis février. En attendant d'avoir mon cabinet, je les reçois, tous les mardis, dans une maison médicale, à côté de Paris. Elles viennent de Toulouse, Bordeaux, Bruxelles... 

Quels sont les retours ?

Elles parlent d'une rennaissance, du geste qui permet de tourner la page.  Beaucoup ont été abandonnées par leur conjoint et grâce à ce geste, elles peuvent se réappropier leur corps, envisager de reconstruire une vie amoureuse.

Quel est le prix d'une séance ?

La séance coûte 400 euros ; les deux, 600 euros pour les deux seins. Avec les chirurgiens, on travaille à la reconnaissance de cette technique, pour qu'elle soit mieux prise en charge. 

Vous avez lancé une campagne de financement participatif sur Kiss Kiss Bank Bank. A quoi servira l'argent récolté ?

A construire un cabinet de consultation d'un montant de 50.000 euros. Ce ne sera ni un cabinet médical, ni un salon de tatouage, ni un cabinet d'esthétique mais vraiment un centre dédié à la reconstruction. Il sera installé dans mon jardin, à 15 km de l'aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle. Je fais le parie que de les accueillir dans mon intimité les encouragera à me livrer la leur. 

Le beau projet d'Alexia a déjà mobilisé 311 personnes et récolté 27.800 euros. Il reste six jours pour atteindre les 30.000 euros requis. Vous souhaitez participer ? Rendez-vous ici

Photo : Alexia Cassar. 

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