Sylvain Lapoix et One Heart : le datajournalisme pour donner du sens aux chiffres

Publié le 21 mars 2016 (modifié le 20 février 2023 à 22h17)
Par One Heart
Temps de lecture : 3 mins

Coauteur et enquêteur de l’émission DataGueule, diffusée sur France 4, Sylvain Lapoix est l’invité de la semaine de One Heart. Il nous explique comment le datajournaliste fait parler les données.

Sylvain Lapoix est un fou de données. Mais pas n’importe lesquelles et pas n’importe comment. Datajournaliste, il nourrit sa pratique professionnelle de rapports et tableurs excel en tous genres. Il démonte les arguments fallacieux des politiques en un coup de cuillère à pot, saupoudré d’un soupçon de factchecking, qui consiste à vérifier leurs propos, en remontant toujours à leurs sources.

Le datajournalisme, une méthodologie rigoureuse

« Le datajournalisme, c’est avant tout une méthodologie, explique-t-il. On utilise des données brutes, en libre disposition (l’open data) ou des données cachées, disséminées dans plusieurs documents ou tableurs. Dans ce cas, il s’agit de restructurer des informations déstructurées pour qu’elles soient compréhensibles par la machine (ce qu’on appelle le scraping). »

Un exemple ? « En 2012, à OWNI – le site Internet qui l’emploie alors – on a réussi à mettre en exergue les associations qui avaient reçu des réserves parlementaires. Un chiffre qui n’existait pas à l’état brut. » La même année, il fait partie de l’équipe du Véritomètre, qui analyse les déclarations chiffrées ou chiffrables des six principaux candidats à l’élection présidentielle. Les journalistes ont alors deux choses en tête : vérifier la véracité des faits, mais aussi la fiabilité des arguments.

« Le chiffre se pare trop souvent d’une autorité bête, poursuit Sylvain Lapoix. Et les journalistes n’osent pas toujours questionner les données qu’avancent les politiques surtout s’ils n’ont pas de billes pour les relancer. Cette absence de critique résulte à la fois d’un manque de culture - statistique, mathématique – mais aussi d’une vision extrêmement comptable du monde. Les journalistes devraient apprendre à voir plus souvent le coût comme un paramètre, à prendre en considération parmi d’autres, et pas seulement comme une contrainte. »

Mais pour Sylvain Lapoix, le datajournalisme n’est pas non plus une fin en soi. « On doit faire attention à ne pas basculer dans une vision dashboard (tableau de bord) du monde, précise-t-il. Je me sens parfois plus proche d’un statisticien que d’un journaliste qui chercherait à faire du sensationnalisme. J’ai toujours en tête que les chiffres sont une construction humaine, et les statistiques, fruit d’une commande ou d’une contrainte. 

Je me méfie toujours d’un chiffre qui fait « boom », celui qui plaira aux journalistes. On trouve d’ailleurs souvent une explication à celui qui sort du lot, à l’aberration statistique. Une pratique rigoureuse de notre métier consiste parfois à réfléchir contre nous-même. »

DataGueule, la data au service de l’esprit critique des citoyens

Se méfier des chiffres qui font « boom », ça pourrait être aussi une des devises de DataGueule, un programme court diffusé sur France 4 depuis déjà quatre saisons, dont Sylvain Lapoix est l’un des brillants coauteurs et enquêteurs.

« On ne veut rien démontrer, sortir un sens attendu des faits, détaille-t-il. Au contraire, on veut mener une déconstruction systématique des grands sujets de société. Démocratie, croissance, biodiversité, consommation de viande, vente d’armes, lobbying ou migrations : les thématiques des épisodes sont très variées mais ont en commun d’essayer de restituer la complexité du monde. On donne des points de repère aux citoyens, on balise le terrain pour les aider à se poser les questions autrement. » Mais qui donc vérifie les chiffres des vérificateurs ? « On rend publiques toutes nos sources, répond-il. Et on a régulièrement des contradicteurs. On donne la capacité aux citoyens de nous corriger. »

Le succès est tel que l’équipe a aussi réalisé un documentaire à l’occasion de la Conférence de Paris sur le climat (COP21), en décembre 2015 : 2 degrés avant la fin du monde. « La COP21 a surtout été un prétexte pour aborder toutes les disciplines périphériques (écologie, certes, mais aussi économie, neurosciences…). On se méfie d’un constat unique et on pose toujours un regard volontairement protéiforme et complexe sur les sujets. »

Tout au long de la semaine, nous reviendrons sur plusieurs épisodes de DataGueule et partagerons le point de vue de Sylvain Lapoix sur certains de nos sujets d’actualité.

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