Bretagne : l’usine de la discorde

Publié le 10 février 2016 (modifié le 20 février 2023 à 22h15)
Par One Heart
Temps de lecture : 3 mins

Un grand groupe de nutrition infantile chinois a implanté une usine géante de production de poudre de lait… en Bretagne ! Entre emplois et inquiétudes, les opinions divergent.

L’industriel chinois Synutra s’est associé avec le groupe coopératif Sodiaal pour construire à Carhaix, la plus grande usine de poudre de lait infantile en Europe. Livrée au printemps 2016, et uniquement réservée à l’export vers la Chine, elle coûtera 90 millions d’euros.

Un projet bénéfique ?

Outre les 250 ouvriers employés durant les travaux, 130 personnes ont déjà été embauchées pour travailler sur le site. « Cet effectif de 130 salariés sera augmenté au fil des mois pour atteindre 200 personnes d’ici 2017 », précise Patrick Bischofberger, directeur du site.

Alors que beaucoup de producteurs laitiers travaillent actuellement à perte, Liang Zhang, PDG de Synutra International, assure : « Je suis le premier à venir, mais pas le dernier. Vous avez un lait de haute qualité, l’avenir est donc ici. On dit que le lait français est cher mais, à l’avenir, il sera plus compétitif. »

Pourquoi venir en France ?

Une question se pose tout naturellement. Pourquoi la Chine, première puissance agricole mondiale, souhaite-t-elle acheter du lait breton ?

Selon une étude du Centre d’études et de prospective (CEP) du ministère en charge de l’agriculture : la Chine compte 200 millions de petits fermiers peu rémunérés et des filières encore mal structurées. Il manquerait au moins 100 000 inspecteurs sanitaires au pays. Ainsi, 15 % des consommateurs en Chine seraient victimes chaque année d’intoxication alimentaire.

De plus, le secteur laitier chinois est entaché par le scandale du lait à la mélamine, un additif qui a provoqué en 2008 la mort de six enfants et des problèmes de santé chez près de 300 000 autres.

Les classes moyennes et aisées, choisissent donc de consommer de plus en plus de produits agroalimentaires importés, synonymes de sécurité sanitaire.

Le temps des inquiétudes

Pascal Prigent, éleveur laitier et vice-président de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA), s’inquiète : « On n’a aucune idée de la nature du contrat signé entre Sodiaal et Synutra. Nous aurions préféré une consultation de la filière locale en amont du projet afin de garder la maîtrise de l’outil de transformation. On espère aussi qu’il y aura d’ici 2015 encore assez d’éleveurs laitiers pour fournir cette usine ».

Sodiaal a passé un accord de partenariat de plusieurs années avec Synutra. Cependant, Europe Ecologie les Verts (EELV) prévient : « ce modèle met en concurrence des producteurs bretons de lait avec les producteurs néozélandais et australiens, qui bénéficient d’un accord de libre-échange avec la Chine, avec une baisse des droits de douanes de 20 %, à partir d’étables laitières de plusieurs milliers de vaches. Ce système va augmenter la volatilité des prix et tirer la rémunération des producteurs vers le bas, provoquant la disparition de milliers d’entre eux ».

« L’usine va faire baisser les prix. Les éleveurs pourront résister s’ils s’adaptent avec des robots, mais les petites fermes vont fermer, explique Joseph le Bihan, fondateur de l’Institut de Locar, un think tank économique breton . C’est plus rentable et c’est astreignant. L’agriculture bretonne va se transformer. Sinon c’est la désertification ».

Jules Hermelin, de la Confédération paysanne, écrit : « L’arrivée de Synutra International à Carhaix pose le problème – entre autres – de l’autonomie des paysans au sein de la filière. Avec la fin des quotas et la disparition des anciens outils de régulation, les producteurs auront bien du mal à négocier les termes de leur contrat (prix, volumes et mesures de qualité) avec un industriel dont le cœur du pouvoir se cache à des milliers de kilomètres de la Bretagne. »

Enfin la déclaration du PDG chinois dans Ouest-France, fin 2015, n’est pas pour rassurer : « Les Européens disent que les Chinois viennent en Europe pour la qualité et la sécurité. Ce sont des paroles ! Je viens en Europe pour le prix. Pour gagner de l’argent. »

Envie de recevoir de bonnes ondes ?

Inscrivez-vous à notre newsletter et recevez chaque semaine de nouvelles façons d'agir à votre echelle !