Interview sportive d'Aurélie Bresson !

Publié le 13 juin 2017 (modifié le 20 février 2023 à 22h17)
Par One Heart
Temps de lecture : 6 mins

One Heart a rencontré Aurélie Bresson, la jeune créatrice du premier magazine dédié au sport féminin, intitulé tout bonnement Les Sportives.

Il manquait tant à la société, elle l'a lancé en 2016. Il, c'est Les Sportives, le premier magazine célébrant le sport féminin. Vous l'aurez sans doute remarqué, les footballeuses, handballeuses, basketteuses et autres sportives sont encore trop souvent absentes dans les médias. Même si les choses s'améliorent...

Elle, c'est Aurélie Bresson. Des traits fins, un regard doux et une silhouette filiforme. Mais quelle poigne ! Malgré les difficultés et obstacles, elle est parvenue à lancer le magazine de ses rêves, avec succès. Depuis sa sortie, le titre Les Sportives ne cesse de faire parler de lui et se vend très bien en kiosque. 

One Heart a rencontré l'entrepreneure de 28 ans. Elle nous parle avec passion de sport, de la place des femmes dans la sphère médiatique, et, évidemment, de son "bébé"...

One Heart : comment vous est venue l'idée de ce magazine ?

Aurélie Bresson : Il y a six ans, j'étais en études avec des handballeuses qui partagaient leur temps entre les cours et les entrainements. Elles avaient un rythme incroyable et des histoires folles. Elles menaient de front études, vie personnelle et vie sportive. Je m'interrogeais : pourquoi les médias ne s'intéressent-ils pas plus à elles ? Les médias locaux jouaient bien le jeu. Ils faisaient souvent des reportages, des interviews sur elles, mais je ne voyais rien au niveau national. 

Un an après, je travaillais dans un club de hand féminin. Je me suis alors rendu compte, en épluchant la presse, que personne ne parlait d'Alyson Pineault, grande joueuse de hand. Elle n'apparaissait même pas dans la presse spécialisée hand. Ou alors juste dans un petit encart pour annoncer son arrivée à Metz. Ç'a été le déclic : pourquoi y 'en a-t-il que pour les mecs ? pourquoi ne ferais-je pas un média dédié au sport féminin ?

Donc selon vous, les sportives n'ont pas une grande place dans les médias, que ce soit à la télé ou dans la presse écrite...

Mise à part pendant les jeux olympiques, on les voit rarement à la télé. Les émissions sur le sport leur consacrent peu de sujets. Les matches de sport féminins sont assez peu retransmis. 

Idem dans la presse écrite. Allez faire un tour en kiosque et feuilletez les journaux et magazines. Il n'y a que des hommes, du moins en couverture. Pour voir des femmes en une, il faut aller dans le rayon féminin. D'ailleurs, posons-nous la question : pourquoi existe-t-il un rayon presse féminine et pas de rayon presse masculine ? 

N'y a t-il pas d'amélioration ?

Ça bouge. Les marques ont maintenant tendance à développer une gamme pour le sport féminin. Les campagnes publicitaires mettent de plus en plus en avant des sportives. Et une femme, Laura Flessel, a été nommée ministre des sports. 

D'une manière générale, la place de la femme évolue dans la société. On revient de loin, mais il y a eu des vraies volontés des politiques. Telle que la loi , en 2014, de Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Sports et du Droit des femmes, qui a mis en place des quotas [Quand la proportion de licenciés des deux sexes est supérieure à 25%, les statuts des fédérations sportives devront prévoir la parité dans leurs instances NDLR]. Je ne suis pas forcément pour les quotoas, mais si ça peut servir à faire avancer les choses...

Le magazine a connu un certain engouement dès sa sortie. C'est aussi une preuve que les mentalités évoluent...

Je pensais que l'on serait 60 à la soirée de lancement, on s'est retrouvés à 140. Avec la présence de Thierry Braillard, alors secrétaire d'Etat au sport ; Nathalie Yaneta, conseillère sport de François Hollande ou encore Nathalie Sonac du CSA. Et à propos du lancement du magazine, Béatrice Barbusse, présidente du CNDS [Centre National pour le Développement du Sport NDLR], et une des premières femmes à diriger un club de hand masculin, a quand même dit : "Je ne pensais pas voir ça de mon vivant". Ça fait quelque chose. Là je me suis dit : ça a avancé. Si un tel magazine n'a pas été crée avant, c'est que les mentalités n'étaient pas prêtes.

Avez-vous été soutenue pendant la création du projet ? 

La première à m'avoir encouragée est Béatrice Barbusse. Deux ans avant la sortie du magazine, elle m'a dit : "Foncez ! Il faut toujours aller au bout de ses convictions. Vous n'avez que 25 ans. Même si vous vous plantez, vous vous relèverez toujours." Ça m'a aidée à me lancer.

Après, j'ai eu de grandes difficultés avec les incubateurs. Disons qu'ils ne m'ont pas accueillie à bras ouverts. Souvent parce que je cumulais le fait d'être une femme, seule et jeune. L'Etat ne m'a pas beaucoup aidée non plus. Comme pour beaucoup de projets, ils attendent que l'on ait fait ses preuves pour s'engager. De même pour les annonceurs, les partenaires qui attendaient que le magazine sorte pour s'engager et aider. J'ai dû monter le projet en fond propre. Je suis allée toquer auprès des banques. On a cru en moi.

Finalement, l'engouement a été tel que nous avons a eu beaucoup de soutiens. Le lendemain de la sortie des Sportives, la plupart des ministres avaient tweeté pour saluer l'événement. J'ai eu une aide du minsitère des Sports en janvier, soit neuf mois après la sortie des Sportives. Comme quoi, il ne faut jamais rien lâcher. 

Quels sujets sont abordés dans Les Sportives ? Et de quelle manière ? 

On traite tous les sports et sous tous les angles : société, santé, culture, média... Comme le magazine est trimestriel, nous pouvons nous permettre d'avoir des thématiques phares pour chaque numéro, comme si nous sortions un hors-série.

Pour le numéro sur les sports d'hiver, nous avons mis en avant une sportive, pas assez médiatisée à notre sens : Marie Bochet, douze titres mondiaux en catégorie handiskieuse. Nous sélectionnons les sportives en fonction des derniers titres qu'elles ont pu décrocher et en fonction de leur engagement. Il arrive que nous mettions en avant une sportive avec peu de palmarès, mais très engagée. D'une manière générale, les personnes n'hésitent pas à venir vers nous pour nous parler de leur initiative ou événement. On relaye alors l'information.

Nous avons beaucoup de retours après notre sujet sur les règles. On a brisé un tabou chez les championnes. Des papa nous ont écrit pour nous remercier et nous signaler qu'ils ne diront plus à leur fille qui a ses règles  : "T'es une chochotte."

Votre magazine peut-il intéresser les profanes du sport ?

En fait, les trois quart de nos lecteurs ne sont pas sportifs. Et la moitié des abonnés et lecteurs sont des hommes. Cela peut surprendre, mais faut rappeler que les premiers consommateurs de sport restent les hommes, même quand il s'agit de suivre un match de foot féminin. Ce pourcentage prouve que notre pari est gagné : il montre que l'on est un magazine de sport avant tout, et non pas un magazine féminin. De même, lorsque nous voyons que l'Equipe s'est inspiré de nous pour faire le sujet sur les règles. L'Equipe n'a jamais autant parlé des sportives depuis que notre magazine existe. Les mentalités bougent. Ça durera le temps que ça durera. Je dirais même : tant mieux si le magazine n'existe plus dans dix ans. Cela signifiera qu'il n'y a plus besoin d'un titre dédié au sport féminin pour qu'on parle des sportives dans les médias.

Le magazine se vend-il bien ?

Pour le moment, les ventes sont stables. Il y a eu un boom à la sortie, avec la coureuse cycliste Pauline Ferrand-Prévot en couverture. Nous avons très bien vendu avec près de 6.000 exemplaires sur 15.000. Depuis, nous avons augmenté le tirage à 18.000 exemplaires. Nous avons par ailleurs 1.000 abonnés, parmi lesquels des centres de documentation en collèges, des bibliothèques universitaires, le Parlement européen, des régions, des villes, les ministères... Notre communauté grandit sur les réseaux sociaux [6.300 abonnés sur Facebook et 6.700 sur Twitter NDLR]. C'est globalement très positif. Nous ne nous attendions pas à cela. 

Quels sont les prochains sujets que vous aimeriez traiter ? 

Le numéro sorti en juin parle des sports urbains, montre comment les femmes réinvestissent les espaces sportifs urbains. Une étude nous a particulièrement interpellé et a impulsé ce sujet. Elle prend l'exemple des récréations. Les garçons sont les premiers à prendre un ballon ou à investir l'espace sportif. Les filles restent sur le côté et quand on leur demande pourquoi ? Elles répondent : "Parce qu'il y a déjà les garçons." Est-ce que ce sont les garçons qui ne laissent pas la place ou les filles qui n'osent pas ? Mais les lignes bougent. Beaucoup de pratiques émergent - parkour, double dutch... - via lesquels les femmes se réapproprient les espaces urbains. Le running aussi permet aux femmes de parcourir les villes

Un autre sujet que nous voudrions traiter : l'image de la sportive en général, notamment concernant l'homosexualité. Lorsque l'on pose la question : que représente pour vous une footballeuse ? La réponse est souvent "Oh bah, elle est lesbienne elle"... 

L'équipe du magazine est-elle intégralement féminine ?

Non. Que ce soit à la photo ou à la rédaction, c'est mixte. Raymond Domenech écrit un billet d'humeur pour chaque numéro. Même au niveau de la relecture, le magazine est relu par des hommes et des femmes. On ne veut pas tomber dans le féminisme intégriste. C'est du sport avant tout.

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